ROMANS

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LIVRE-INTERACTIF

23
oct

donne moi ta vie – chapitre 10

Mercredi soir, vingt-trois heure. Assis à une table discrète au fond du pub, je pestais contre mon acolyte. Ou du moins contre la proposition du refourgueur qui ne correspondait pas à l’estimation qu’on avait espérée du butin.
— Mais bordel, c’est bien moins que ce que tu m’avais dit !
— Je sais, tentait de me calmer Ludo ! Avec la crise financière, mon contact a de plus en plus de mal à obtenir du cash de son réseau de vendeurs à la sauvette. Les gens font gaffe avec leur économie et évite d’acheter le superflu.
— Putain, c‘est toujours les braves travailleurs qui finissent par trinquer des conneries banquières. Y a que ces fumiers de riches qui vont encore s’en sortir tranquilles, c’est eux qu’il faut sucer, mec, pas les petits.
— Mouais, mais ces cons savent se protéger.
— Et la bagnole, elle était nickel ?
— Le marché automobile n’est pas folichon non plus. Les filières de l’Est et d’Afrique du Nord se recroquevillent. En France, tous les constructeurs bradent leurs modèles à coup de réductions pour écouler leur stock,sans parler des bonus d’état. Tu dois être bien placé pour en entendre parler au garage ?
— Tu m’étonnes, le boss nous rabat les oreilles avec ça. Il veut nous faire sauter nos primes. Cet enfoiré va jusqu’à nous menacer de recourir au chômage technique pour réduire le manque à gagner. Sauf que côté mécanique, nous, on a jamais eu autant de boulot. On reste tous les soirs pour des clopinettes. Tout le monde serre les fesses pour que sa petite concession s’en mette plein les poches en douce.
— Tu comprends pourquoi je préfère travailler à mon compte. J’en ai déjà plein le cul de voir tout ces politicards véreux prêcher le serrage de ceinture de la masse populaire pour faire passer leurs saloperies de lois antisociales et anti-libertaires afin d’octroyer des augmentations faramineuses à leur amis grands patrons. Et je te parle pas des parachutes dorés payés sur les licenciements et les délocalisations. Bon, on arrête de parler de ça sinon je vais m’énerver.
— ça me dit pas combien pour la Mercos ?
— La moitié de ce que je pensais et encore pas tout de suite. Le temps de l’écouler, probablement vers le Maghreb. De plus, les flics sont sur le pied de guerre avec la recrudescence des vols. L’Elysée veut des résultats.
— Bordel, y a aussi de la concurrence dans ce métier ?
— C’est normal. Plus personne ne veut gratter pour une misère. Quand tu vois ce qu’un footballeur gagne pour taper joliment dans un ballon, qui voudrait trimer 8 heures par jour pour un SMIC qui ne te permet pas de vivre décemment. C’est se foutre de la gueule du monde. Sans compter que ça débarque plein pot de Roumanie.
Je chopais les boules. Je voyais mes rêves de gloire automobile s’envoler. Je m’étais renseigné sur le prix des licences et les droits d’inscription des courses. Cela dépassait ce que j’avais imaginé. Déjà que je galérais pour me payer une tire convenable. Je me mordis la lèvre :
— Faut passer aux choses sérieuses, mon gars, sinon j’arriverai jamais à devenir pilote. Faut taper directement au coeur de la finance, s’affranchir des intermédiaires. Toutes ces interfaces coûtent chères. Chacun prélève sa part au passage et nous, les petits producteurs, on prend tous les risques pour des clopinettes. Y a qu’à prélever les biftons directement à la source, chez les dépositaires de la finance : grands commerces, banques…
Ludo fronça les sourcils :
— Moi je voudrais bien mais les conséquences, si on se fait choper, ne sont pas les mêmes. Pour un cambriolage, c’est deux ans de tôle max. Dès qu’il y a braquage, ça va chercher dans les dix à quinze piges derrière les barreaux. Et puis, les moyens ne sont pas les mêmes. Là, tu passes à l’étape supérieure. Je suis pas sûr de vouloir me lancer là-dedans, ça me fout déjà les pétoches rien que d’y penser.
Je ne pus m’empêcher d’avoir un rictus, mon pote montrait tout à coup ses limites et perdait de sa superbe. Cependant, je ne pouvais pas me permettre de lâcher, d’entrée, mon nouveau gagne pain.
— Ok, Ok, je m’emballe peut-être un peu ! Mais t’es d’accord pour reconnaître qu’on se la fait un peu mettre par ces parasites, c’est pas mieux que mon patron ?
— Si tu le dis ! Mais je ne me vois pas faire les marchés pour revendre notre camelote. Ne crois pas que ça soit si simple d’écouler de la marchandise sans se faire repérer ?
— Mouais ! Je crois qu’il faut se rabattre sur plus efficace que le mobilier prolétarien. Faut que ça rapporte !
— Sans problème. Puisque tu es si malin, monte un coup ! En attendant ton opération du siècle, j’ai quelque chose en vue de similaire à mes habitudes. La baraque d’un vieux qui vient juste de casser sa pipe. Y a qu’à se servir avant que les héritiers ne prennent possession des lieux. Du tout cuit et sans risque !
— Et qu’est ce que tu penses trouver là-dedans, à part des vieilleries ?
— Un beau bas de laine, j’espère. Depuis la guerre, nos anciens vivent toujours dans la peur de manquer et se méfient des banquiers qu’ils considère comme malhonnêtes, témoin ma grand-mère. En prévision d’un coup dur, ils planquent systématiquement une partie de leurs économies sous leur matelas pour faire face… D’ailleurs, je lui pique régulièrement deux à trois biftons à la vieille, depuis que j’ai reniflé sa cachette. Elle s’en aperçoit même pas, elle compte même plus. Fais moi confiance ! Le plus dur sera de trouver le magot. Ces vieux sont vicieux mais je commence à avoir l’habitude de ce genre d’exercice. Seulement il faudra peut-être rester pas mal de temps à l’intérieur pour tout sonder.
— Moi, si c’est du pognon, ça me va. On fait ça quand ?
— Je t’appellerai. J’ai encore deux ou trois trucs à vérifier.

3 commentaires(s)
  1. Pascal
    Tes 10 chapitres sont passionnants. Il faut continuer sur cette belle lancée… Je suis impatient de lire la suite…
    Pascal

    Gagnepain Pascal,le 30 octobre, 2010
  2. Ho cher pascal !!
    Je n’ai lu en tout et pour tout que 3 livres depuis mon adolescence et la je viens d’enchaîner tes deux premier et les 10 premiers chapitres de celui ci en un rien de temps … enfin pour moi puisque pour un lecteur assidu ça doit paraître une éternité.
    Continue, c’est vraiment une lecture très agréable.
    Pour ce livre comme pour les autres, j’aime particulièrement le petit coté un peu fantastique. On peut se laisser emporter sur bcp de chemins en pensant à la suite. Repartir dans le passer, voyager plus loin dans le futur, mélanger les points de vu de ces corps échangés … le temps va t-il a la même vitesse pour une conscience et un corps … imaginer une autre vie à Karim … et sa conscience n’est-elle vraiment plus là ….
    Vivement les chapitres suivants, et quelques manut’ combustibles.
    Le Greg

    greg bel,le 2 novembre, 2010
  3. Merci Greg hors « manuts ». Le plus beau compliment pour un auteur est d’arriver à prendre dans ses lignes quelqu’un qui ne lisait pas avant. Il est vrai que connaître l’écrivain aiguise la curiosité et facilite l’acte de se lancer.
    Une autre fabuleuse critique que j’ai reçue un jour et que personne n’osera probablement jamais mettre en commentaire : elle est venue involontairement d’un collègue qui m’a reproché un matin d’avoir tenu sa femme en haleine jusqu’à une heure avancée de la nuit et qui, de faite, n’avait pas rempli son devoir conjugal. Ce gars là ne me lira jamais… ou alors en journée.
    Pour Karim, je ne peux pas faire revenir sa conscience, ça rappèlerait trop la résurgence des souvenirs dans la tête de Mickaël dans « Rendez-vous post-mortem ». Par contre, Antoine n’en a pas fini et il n’en maîtrisera pas la vitesse si ça peut te rassurer… ou t’inquiéter.
    Et toi, avec qui voudrais-tu t’échanger ? Quelqu’un de connu, de plus jeune, de plus beau, plus riche, refaire ta vie en regardant la tienne laissée à un autre ? Fais ton choix !

    Pascal Dupin,le 3 novembre, 2010

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