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8
sept

donne moi ta vie – chapitre 8

Tout s’arrangeait pour moi. La guérison de Karim malgré la mort du vieux psychiatre, Youenn qui mettait à présent de l’eau dans son vin. Il présenta ses excuses le soir même. Certes, elles sonnaient un peu faux, mais elles me redonnèrent un début d’espoir de lent repentir. Notre dispute avait peut-être déclenché une prise de conscience, pour preuve une assiduité moins importante à ses jeux vidéo et un peu plus d’écoute à mon égard. La contrepartie qu’il négocia fut de pouvoir bénéficier d’une sortie un soir, en célibataire avec ses copains, un mercredi tous les quinze jours. L’accord avait été trouvé sur l’oreiller le lendemain de notre réconciliation. Seule ombre au tableau, nous n’y retrouvâmes pas la ferveur de nos premiers ébats et je sentis bien que nos coeur ne communiaient pas vraiment. L’altercation récente planait encore au-dessus du ménage mais j’allais faire en sorte que tout s’efface bien vite.
Ce matin, je devais assister à l’enterrement du docteur Rastignac. Le directeur des Magnolias m’autorisait à m’y rendre sur mon temps de travail. D’autant que Karim avait réclamé de m’accompagner. Cette demande parut bizarre à toute l’équipe : personne ne devait parler à l’handicapé de la cérémonie, une consigne donnée à l’ensemble du personnel afin de ne pas lui remémorer le drame. Comment l’avait-il su ? Probablement en entendant quelqu’un en discuter dans un couloir sans se douter de sa présence. Je l’avais surpris en train de consulter le journal qui traînait toujours à l’accueil. Je savais qu’il ne lisait qu’avec beaucoup de difficultés et uniquement les lettres déliées, pas les caractères d’imprimerie. Alors, aller jusqu’à consulter la rubrique nécrologique ? Depuis la crise cardiaque du psychiatre confirmée par l’autopsie, Karim se comportait curieusement. Certes, il était sorti de sa torpeur mais ne parlait presque plus et s’isolait beaucoup. Il semblait également avoir perdu ses repères, ses habitudes. Chaque rencontre le troublait. Il affichait un sourire contrit en réponse à tout dialogue et s’éclipsait aussi vite qu’il le pouvait. La plupart du temps, il végétait dans sa chambre en regardant la télévision. Il ne goûtait plus aux petits plaisirs qui faisait, avant son agression, sa joie de vivre.
Je garais la voiture sur le parking proche du cimetière. Karim n’attendit pas mon ordre pour sortir comme on habituait les pensionnaires à le faire pour éviter les accidents. Je m’apprêtais à le réprimander mais quelque chose d’inexplicable me retint. En verrouillant les portes, je remarquai immédiatement les lunettes noires qu’il venait d’enfiler, dégottées je ne se sait où. Droit comme un i dans ses habits sombres empruntés à un animateur de même taille, il regardait fixement en direction du corbillard qui s’enfonçait dans l’allée centrale gravillonnée. A le voir ainsi, n’importe qui aurait pu le prendre pour un être normal.
Le sentant perdu, je pris sa main dans la mienne pour le guider, comme je le faisais depuis des années pour partir en promenade. Karim tressaillit et s’interrompit à temps de la retirer brusquement. Ce léger mouvement de rejet ne m’échappa pas mais je mis ça sur le compte de son récent traumatisme. Il s’agissait de son premier enterrement. D’habitude, je savais qu’il aimait marcher avec moi. J’essayais souvent d’imaginer quelle obscure raison le rendait heureux de se promener avec une fille à ses côtés comme un homme normal. Mais aujourd’hui, je ressentais une sensation bizarre, entre répulsion et attirance. Les inconnus qui se pressaient derrière le fourgon mortuaire devaient penser, en nous voyant, que nous étions un couple venu assister aux obsèques d’un être apprécié. Seule la claudication déroutante de Karim aiguisait quelques curiosités.

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