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9
juil

donne moi ta vie – chapitre 5

La sonnerie de l’antique téléphone à fil retentit dans le hall. Ma main fatiguée décrocha juste avant que l’appel ne bascule sur le répondeur automatique de l’opérateur historique.
— Allo !
— Docteur Rastignac ?
— Oui !
— Bonjour, je suis Julie Legallec du centre des Magnolias. Je vous appelle au sujet de Karim Alouche.
— Ah oui bonjour, je suis désolé de ne pas avoir pu le recevoir mardi, j’avais une urgence. Vous a-t-il dit que je pouvais le prendre aujourd’hui, en fin d’après midi, si vous êtes d’accord ?
— Karim ne nous a rien dit, docteur. En fait, il ne nous a rien dit depuis l’agression qu’il a subi hier, sur le trajet qui mène à chez vous.
Mon autre main prit appui sur le meuble d’entrée pour m’empêcher de vaciller, mes jambes flageolèrent, soumises à un sentiment soudain de culpabilité. Inconscient du danger, Hector se frottait contre le bas de mon pantalon en quête de caresses.
— Mais comment ? Est-ce que c’est grave, balbutiai-je ?
Julie remarqua mon trouble. Elle regretta aussitôt son manque de ménagement à mon égard. Devant la surprise, comment ne pas laisser transparaître mon inquiétude ?
— Physiquement, quelques entailles légères provoquées par des cailloux lancés par des gamins mais le choc lui a causé un fort traumatisme psychique. Cela fait vingt-quatre heures qu’il reste prostré. Il ne s’alimente plus tout seul, nous sommes très préoccupés. Il refuse toute communication. Vous pourriez peut-être essayer de faire quelque chose, je sais qu’il vous adore ?
Je me ressaisis un peu. Cela paraissait moins grave que je ne l’avais imaginé sur le coup. Le principal véritable traumatisme relevait effectivement de ma spécialité, un domaine que je maîtrisais encore parfaitement, résultats de beaucoup d’années d’expériences. De plus, je connaissais Karim par coeur. Mon accord spontané soulagea ma conscience :
— Evidemment, je serai très heureux de l’aider ! En plus, je me sens un peu responsable. Si je ne l’avais pas renvoyé, ce ne serait peut-être pas arrivé. Amenez-le moi dès que possible. Plus on attend, plus ce sera difficile. Pouvez-vous être là dans une heure ?
— Sans problème, Docteur, j’espère que vous arriverez à faire quelque chose pour lui. Il ne mérite pas ce qui lui arrive.
— Je sais, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.
Je raccrochai. Cette consultation inopinée ne m’arrangeait pas mais il ne m’était pas concevable de faire attendre un patient dans cet état pour privilégier mes travaux. De plus, c’était un peu de ma faute si Karim avait besoin d’aide. Cette urgence n’altérerait en rien mes recherches qui piétinaient depuis hier. Je ne parvenais toujours pas à localiser l’origine de l’anomalie comportementale des deux animaux. L’analyse des enregistrements ne m’amenait à aucune conclusion digne d’intérêt. Même si Sifflet et Hector avaient récupéré tout leur potentiel physique, psychique et affectif, je n’osais plus effectuer de nouvel essai sur mon chat de peur de le perdre. En vérité, j’avais peur de ne pas pouvoir reproduire le phénomène, ce qui aurait fini par me plonger dans le marasme le plus total. Pour me donner du coeur, j’envisageais, sans franchir le pas, de faire l’acquisition de cobayes différents, deux espèces plus intelligentes qui permettraient de confirmer et de pousser plus loin l’expérience. Un chimpanzé paraissait évidemment tout désigné et assez facile à acquérir mais avec quoi l’associer : un chien peut-être. Un labrador emporta finalement ma décision, son attirance pour l’eau serait en complète contradiction avec la phobie du singe. Surtout, il faudra bien veiller à ce que je ne m’attache pas à ces animaux…
Ding…Dong ! La sonnette inquiète me tira de mes interrogations. Il me sembla que quelques minutes seulement me séparaient de l’appel téléphonique. Je consultai sa montre et dut me rendre à l’évidence : je ne réfléchissais plus aussi vite qu’avant. La baisse de mes facultés subissait-elle uniquement les répercussions de ma décrépitude physique ? Les capacités de mon encéphale prenaient-elles également un coup de vieux, à l’unisson du reste ? Cette éternelle question serait peut-être un jour résolue par une dérivée de ma récente découverte… par ceux qui prendrait la suite, je l’espérais. Le Ding…Dong suivant me tira définitivement de ma réflexion. « J’arrive » criais-je de l’autre bout du couloir. Deux formes humaines floues se découpaient derrière le verre opaque de la porte d’entrée.
Sur le perron, l’homme et la femme se présentaient devant moi dans un état lugubre. L’expression du visage de l’handicapé était vide. Seuls quelques tics agitaient ses chairs par moments, rien qui puisse rappeler sa vitalité et sa bonne humeur d’avant. Une frange de ses cheveux clairs, pourtant coupés courts, masquait en partie des pupilles absentes. De longs bras sans vie pendaient le long d’un corps flasque. A l’examiner, je me demandai comment ses jambes pouvaient le tenir debout, une vraie loque. Quant à l’éducatrice, visiblement, l’état de son pensionnaire l’affectait au plus haut point. Les poches sous les yeux verts émeraude racontaient une nuit de stress sans sommeil. Aucune trace de cette féminité qui la rendait si jolie d’habitude.
— Bonjour docteur. Voilà, je vous l’ai amené.
— Bonjour Julie. Effectivement, ça n’a pas l’air d’aller très fort. Ecoutez, je préfère voir Karim seul, comme nous en avons l’habitude. Repassez le récupérer en fin d’après-midi ! Si j’ai quoique ce soit comme problème, je vous appelle au centre. D’accord !
— Entendu docteur… Merci !

L’éducatrice ne se fit pas prier pour laisser son problème insoluble au psychiatre, cela lui permettrait de prendre un peu de repos. Depuis hier, sans relâche, elle avait tenté tout ce qui lui était possible pour sortir l’adolescent de son mutisme, sans parvenir au moindre résultat. Sans compter que sa nuit blanche ne la mettait pas dans les meilleures dispositions pour trouver les forces nécessaires pour réconforter qui que ce soit, à commencer par elle-même. Elle remonta dans le mini véhicule de transport scolaire et retourna sur les lieux de son travail. Karim, lui, n’avait pas bougé du perron, complètement indifférent à ce qui l’entourait. Juste avait-il eu un frémissement imperceptible en passant, quelques instants plus tôt, devant les lieux de son agression.
— Alors fiston, paraît qu’on t’a fait des misères ? Allez viens, on va en discuter…
J’entraînai mon patient qui n’opposa aucune résistance jusqu’à la cave. La souris blanche avait toujours eu sur Karim un effet apaisant quand les tests psychologiques des séances hebdomadaires s’avéraient un peu trop perturbants pour lui. J’espérais que la présence du rongeur dans sa cage provoquait le déclic nécessaire pour parvenir à rétablir le dialogue. Mais la course effrénée de l’animal dans son cylindre ne dérida pas l’handicapé.
— Tu veux bien m’expliquer ce qui t’es arrivé, mardi, après que tu sois reparti d’ici. Tu comprends que je ne pourrais pas t’aider si tu ne me parles pas. Karim, il faut que tu fasses un effort, tu ne peux pas rester dans cet état.
J’essayai tous mes vieux trucs pour décoincer mon malade. Rien n’y fit. j’avais l’impression de parler à une matière inerte dépourvue d’une quelconque vie intellectuelle et sociable, une espèce de légume seulement capable de se mouvoir. Apparemment, le traumatisme était plus profond que je ne l’avais supposé au départ. La réaction à un tel choc semblait décuplée par le handicap mental. Rien de comparable avec les pathologies de mes anciens patients, normaux de naissance. Tant que je ne parvenais pas à engager un début de communication, fondement de toutes thérapies, le problème resterait insurmontable. Et si je ne réussissais pas, le cas de Karim allait devenir rapidement tragique. Il risquait de végéter dans une sorte de coma éveillé et dégénérer rapidement, jusqu’à nécessiter le recours à une assistance nutritionnelle. Et ensuite… Il n’y aurait pas de suite, je devais absolument trouver rapidement une solution sinon, qui d’autre que moi serait en mesure de lui venir en aide.
Soudain, en voyant Hector grimper sur l’établi pour lorgner la souris, je repensai à mon expérience. Puisque je ne voyais pas d’autre alternative, pourquoi ne pas essayer de générer une connexion entre Karim et moi en procédant de la même façon qu’avec mes animaux ? Bien sûr, à ce stade, j’ignorais totalement la teneur des liaisons qui s’étaient opérées entre eux et si j’allais pouvoir établir un contact, quel qu’il soit entre deux humains. Mais si l’une d’elles, seulement, suffisait à m’aider à débloquer le pauvre garçon, dans l’état actuel où il se trouvait, cela valait le coup de prendre le risque. La bonne santé des deux rivaux à poils qui se toisaient à travers les barreaux d’acier de la cage n’étaient-ils pas la preuve tangible et encourageante que l’opération n’engendrait aucune séquelle. Une visite aller-retour rapide dans le cerveau de Karim parviendrait peut-être à enclencher un début de réaction chez Karim. Pourquoi hésiter s’il me restait peu d’espoir de guérir mon patient. Je réaliserais, du même coup, un deuxième test plus probant dans mes recherches qui stagnaient. Je saurais si cette méthode pouvait être viable ou non. Je me reprit à l’espérer ardemment, pour Karim, pour tous ces malades. En constatant la désolation inerte sur le faciès de Karim, ma décision bascula définitivement. Je jouais à l’apprenti sorcier mais c’était pour deux bonnes causes.
Une minute plus tard, après avoir allongé l’handicapé sur le fauteuil, je lui injectai une dose de somnifère suffisante pour l’endormir une demi-heure. Par contre, j’étais obligé de rester conscient si je voulait essayer de me faufiler dans les méandres de l’encéphale de son malade pour trouver le moyen de le sortir de sa torpeur. Je le coiffai ensuite du bonnet phrygien puis enfilai le mien. Tout à mon excitation, à peine sentis-je le léger picotement des fines aiguilles s’enfonçant dans ma boîte crânienne. Puis j’entrai, méthodiquement, dans l’ordinateur, l’enchaînement des deux programmes et réglai cinq minutes de délai entre l’aller et le retour correspondant. J’estimai le temps suffisant pour minimiser les risques… Quitte à recommencer plus tard, trouver un meilleur compromis, profiter d’un premier ‘‘voyage’’ au rabais. Avant de me lancer, après une dernière réflexion, je se demandai quel nom attribuer à ce que j’entreprenais. En route vers l’inconnu, j’enclenchai la séquence, prêt à affronter l’attaque de ses névroses pour le sauver, au risque, moi aussi, d’y perdre la raison. Quelques secondes passèrent interminables quand soudain, une douleur intense irradia ma tête, d’une violence telle que je n’eus pas le temps de réagir avant de m’évanouir.

7 commentaires(s)
  1. j’ai avalé les 5 premiers chapitres, comme d’habitude.
    il y a quelques fautes de syntaxe, mais l’ensemble est correct, l’écriture s’est nettement améliorée au fil des livres, c’est très vivant ; j’ai hâte de lire la suite.
    Biz

    Françoise la soeurette,le 22 juillet, 2010
  2. je ne suis pas sûre d’aimer cette façon de lire, ce livre là, je ne peux pas le « dévorer » comme les autres alors je me sens un peu frustrée. Mais bon, il va falloir que je m’y fasse et je vais me dépêcher de prendre connaissance du chapitre 5 : je suis déjà ‘accroc »
    C’est pour quand la suite ?

    Cathy,le 28 juillet, 2010
  3. J’avoue que cette lecture peut s’avérer frustrante pour l’avoir fait subir à mon entourage lors de mes premiers romans. Mais ne reprend-t-elle pas le système des séries télévisées pour lesquelles il faut attendre la semaine suivante pour connaître la suite, y compris pour moi ? J’espère seulement que l’écriture de ce roman ne durera pas autant que les feux de l’amour…
    La différence de ce manuscrit avec une série télévisée, c’est que l’histoire n’est pas encore écrite après le chapitre 14 et donc, vous pouvez influencer l’intrigue si le cÅ“ur ou l’imagination vous en dit. Je reconnais, pour ne pas vous effrayer de vous laisser en plan, avoir certaines idées sur la suite à donner pour Antoine, Julie et Youenn mais comme d’habitude, je n’entrevoie pas encore la fin. Alors à vous de jouer !

    Pascal Dupin,le 29 juillet, 2010
  4. Merci pour la critique et de me signaler les phrases et chapitres où se situent mes erreurs.

    Pascal Dupin,le 29 juillet, 2010
  5. Je trouve la decision du docteur bien rapide surtout avec sa longue experience .Experimenter sur un humain meme ou surtout handicape devrait titiller sa deontologie un peu plus longtemps.Mais bon c est une fiction et puis on le connait pas encore…Demande quand meme a un docteur de ta connaissance..

    polo,le 3 février, 2011
  6. Il y a quelques confusions dans ce chapitre entre la première et la troisième personne.

    fabienne,le 28 février, 2011
  7. Désolé, ça vient du fait que j’avais commencé tout le texte à la troisième personne avant d’affecter la parole à chacun dans leur chapitre. Merci, je vais rectifier.

    Pascal Dupin,le 28 février, 2011

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