ROMANS

NOUVELLES

LIVRE-INTERACTIF

23
nov

Donne-moi ta vie – Chapitre 12

La Mégane tournait comme une horloge. Je dépassai le portillon et la garai le long du trottoir une vingtaine de mètres plus loin. Je venais de terminer la révision de la voiture d’un client et prétexter un essai sur route au chef d’atelier, un bruit semblant bizarre dans la boîte à vitesses. Je ne pouvais pas se permettre de tomber malade chaque fois que mon acolyte me proposait un coup en journée. Je prétexterai une panne importante à mon retour pour justifier le retard pris. La golf brillait au soleil sur le parking de l’aire de jeu, deux cent mètres en amont de la maison. Ludo ne semblait pas craindre que les gosses du voisinage puissent la rayer avec leur skates ou leur vélos. J’entrai et hélai discrètement mon pote, déjà à l’ouvrage.
— Eh ben, c’est pas trop tôt, râla l’autre, je me suis déjà ratissé tout le rez-de-chaussée… pour pas grand chose. A part un tableau ancien, le reste ne vaut pas tripette. Bon, je continue à l’étage, toi tu te tapes la cave. Tu vérifies tous les meubles, dessus, dessous, derrière et dedans, évidemment. Les dalles, les sons creux dans les cloisons, l’épaisseur des murs, les marques au plafond, tout ce qui te paraît suspect ou idéal pour planquer des biftons…
— Je sais, soupirai-je, tu me l’as déjà rabâché cent fois.
— Faut bien que le métier rentre, renâcla l’autre !
Je jetai un coup d‘œil autour de moi, la maison et son contenu correspondait à ce que j’avais imaginé : un intérieur de vieux célibataire plein de bibelots démodés. Je dévalai les escaliers en notant mentalement, pour plus tard, les marches qui grinçaient plus que de raison, comme me l’avait conseillé mon complice. Par contre, le matériel du sous-sol me cloua sur place. Rien de ce que j’avais imaginé, comme des outils sur un établi ou du matériel de jardinage, ne trouvait sa place dans la pièce aménagée en confortable cabinet. Deux fauteuils en cuir trônaient devant une armoire de matériel informatique à la pointe de la technologie. Ma console de jeux récente me parût tout à coup bien désuète face à ce monstre d’ordinateur. L’armoire que je forçais facilement contenait également des appareils bizarres, notamment, deux bonnets ridicules qui ajoutaient l’étrange au déconcertant. Un juron lointain de Ludo m’arracha à la fascination de ma découverte et m’obligea à me re-concentrer sur mon forfait. Je me promis de revenir la nuit prochaine avec un véhicule conséquent pour embarquer la bête et l’ausculter. Mais d’abord, le pognon et les choses facilement transportables.
Cela faisait à peine cinq minutes qu’on se livrait à notre exaction quand un bruit nous alerta. Le gravier de l’allée crissait bruyamment sous les pneus d’un véhicule. Je tressaillais. Laissant tout tomber, je m’avançai précautionneusement jusqu’au soupirail donnant sur la cour. De vieux rideaux sales laissaient filtrer un peu de la lumière du jour. L’inclinaison de l’ouverture, permettait de percevoir ce qu’il se passait dehors avec un angle limité. La calandre du véhicule occupait une partie conséquente du panorama. Quelle ne fut pas ma stupeur de reconnaître ma propre bagnole, l’impact si particulier sur le capot était facilement identifiable. Un camion m’avait reculé dessus plusieurs mois auparavant, sans me voir dans ses rétroviseurs. Le chauffeur avait nié ensuite sa marche arrière en argumentant que je n’avait pas su maîtriser mon véhicule et freiner à temps. Il avait pris mon poing dans la gueule en guise de constat amiable, c’est vrai que je me maîtrisais mal parfois. La même fureur renaissait soudain en moi. Je parvins à apercevoir la conductrice sortir du véhicule et s’avancer tranquillement à droite, jusqu’à l’entrée. La forme et la couleur de la robe ne me laissèrent aucun doute, il s’agissait bien de ma femme. L’image s’assombrit un instant, deux jambes d’un pantalon sombre découpèrent mon champ de vison comme une paire de ciseaux. Mon sang ne fit qu’un tour. Que faisait cette garce ici avec un homme pendant ses heures de travail ? L’évidence me serra l’estomac : elle me trompait ! Je passais brutalement de l’angoisse d’être arrêté à une colère sans fond. Cela expliquait le peu d’engouement qu’elle mettait à nos dernières étreintes. Malgré mes contorsions, je ne pus distinguer la tête du salopard qui l’accompagnait. Un rictus de haine barra ma bouche. J’allais leur faire payer cher leur petite sauterie. Sans réfléchir davantage, je fonçai.
— Oh, c’est déjà ouvert, s’exclama Julie en ouvrant le passage devant Karim !
Elle s’écroula quand la porte se referma derrière eux. Un choc violent derrière la nuque venait de l’assommer. Karim eut juste le temps d’esquiver le second coup pour se réfugier au fond du salon, abasourdi. Je gravissais les dernières marches en hurlant :
— Laisse-moi la cette salope. C’est ma femme, elle se tape ce mec !
D’un bond, j’atterris près du corps inanimé de Julie. La rage s’ajoutant à la déception d’arriver trop tard, je lui décochai un pointu dans les côtes. Puis mes yeux se levèrent sur celui qui osait me cocufier. Coupé dans son élan, mon comparse alternait un regard atterré de l’un à l’autre, sa matraque de poche dans les mains. Tout à coup, je partis d’un grand rire jaune et sadique, je venais de reconnaître l’handicapé. Non pas pour l’avoir déjà rencontré mais ma bonne femme me bassinait tellement avec son métier. Tiens, regarde ces photos : voilà Karim et ses petits copains à la piscine, ici en promenade dans les bois. Qu’est ce que j’en avais à foutre de ces tarés !
— T’inquiète plus Ludo, lançai-je, soudain rassuré, à mon pote, y a rien à craindre ! C’est un patient à elle, un trisomique, un putain d’handicapé mental. Il ferait pas de mal à une mouche. ll comprend même pas quand on le frappe. Julie me raconte toutes leur conneries dans leur centre d’attardés… Tu vas voir !
En jubilant, les poings serrés, je m’avançai lentement vers Mongolito.
— Je veux bien mais qu’est ce qu’ils foutent là, alors, s’intrigua Ludo ? Tu crois plus qu’ils baisent ensemble ?
Interpellé, je marquai un temps d’arrêt et soupesai l’absurdité de la question en tapant du poing dans ma paume de main :
— Elle ferait quand même pas ça avec un débile ?
L’autre reprit, de plus en plus inquiet :
— Et pourquoi, ils sont montés pareils de ce côté là. Explique-moi ce qu’elle viendrait faire ici à part si tu lui as raconté nos combines ?
— ça va pas, tu me prends pour un con !
— Quoi qu’il en soit, on est dans la merde ! Maintenant qu’il nous a vu, cet abruti va nous dénoncer.
— Non, je te dis qu’il comprend que dalle.
— Il en comprend assez pour baiser ta femme, en tout cas, angoissait Ludo en désignant la forme inerte par terre. Et elle, tu crois que tu pourras lui faire fermer sa gueule, quand elle se réveillera ?
— T’as raison, cette connasse commence à me les gonfler sévère, me ravisai-je en faisant demi tour. Putain, je viens d’avoir une super idée.
— Quoi, s’inquiéta son pote ?
Je m’accroupis à côté de Julie, relevai sa robe jusqu’à la taille et arrachai brutalement sa culotte. Mes deux mains enserrèrent ensuite le cou délicat. Je venais de trouver la solution à deux de mes problèmes les plus importants.
— On va l’éliminer… et faire porter le chapeau à l’autre idiot. Tout le monde croira au viol. T’as raison, paraît que ces attardés sont très portés sur la chose.
Au diable mon amour-propre, cette salope allait payer et j’allais faire d’une pierre deux coups et non des moindres.
— Mais ça va pas, t’es devenu malade ! On va pas commettre un meurtre.
Cette fois, Ludo faisait dans son froc. Il venait de lire avec effroi la détermination dans mes yeux.
— C’est pas toi qui me disait de m’en débarrasser ?
— Oui mais pas comme ça !
Ludo hurlait presque, pensant que je devenais fou. Il se mit à reculer doucement jusqu’à l’entrée. Je m’en aperçus et me relevai brusquement, jetant le morceau de dentelle déchiré dans un geste d’énervement dans la direction du fuyard :
— Qu’est ce que tu fais, tu vas pas te dégonfler ? Qu’est ce t’en a faire de cette meuf ? Elle a jamais pu te piffrer. En plus, ses parents ont contracté une grosse assurance-vie pour notre mariage. Ils paient une fortune chaque mois. Je partagerai la prime avec toi. Après, plus besoin de s’en faire. Imagine, je pourrais enfin me consacrer à ma passion et toi, te taper des super gonzesses.
Ludo chancelait, atterré devant mon délire qu’il jugeait immonde. J’entendis du bruit derrière moi et me retournai en gueulant :
— Merde, qu’est ce qu’il fait cet abruti, tu peux pas t’en occuper ?
L’handicapé venait de se barrer à la cave. Je me lançai à sa poursuite mais me heurtai à la porte d’accès verrouillée à la hâte. Derrière moi, Ludo fuyait sans demander son reste. Bordel, ça tournait au vinaigre. Après un instant de réflexion, je revins en arrière, bâillonnai et ligotai Julie avec des torchons de cuisine. Mieux valait attendre de savoir ce que l’autre faisait dans son gourbi avant de commettre l’irréparable. D’autant que cet enfoiré de Ludo ne pouvait plus m’aider.
Je réfléchissais. Je ne me rappelais pas avoir vu de téléphone en bas. Ce Karim n’était peut-être pas suffisamment atteint pour ne pas savoir composer un numéro et réclamer de l’aide. Je décochai un grand coup de pied au niveau de la poignée et fit sauter la serrure d’un autre âge. Je m’engouffrai comme un forcené dans l’escalier et déboulai dans le sous-sol. Je n’eus pas le temps de s’acclimater à la différence de clarté qu’une masse humaine me tomba sur les épaules, me faisant lourdement chuter à terre.
— Nom de dieu…
Je jurais en ressentant une piqûre dans la nuque. Je parvins à relâcher l’étreinte et me retourner pour envoyer un coup de poing rageur dans la tempe de mon adversaire qui roula sur le côté. J’essayais de me remettre debout quand le sol s’échappa sous mes pieds.

Laissez un commentaire

uploaded.to