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LIVRE-INTERACTIF

16
jan

Donne-moi ta vie – Chapitre 15

Deux jours passèrent avant que je ne sois autorisé à réintégrer le domicile conjugal. Découragés par mon amnésie, docteurs et policiers renoncèrent, non sans regret, à obtenir plus de renseignements de moi. Une affaire chassant l’autre, les flics se résignèrent alors de considérer leur première analyse comme la bonne pour se consacrer à une enquête plus concrète. Analyse qui me convenait parfaitement. Et l’hôpital, faute de trouver une cause fiable à mon trou de mémoire, se débarrassa également de moi pour libérer la chambre. Bluffer tout ce beau monde avait été un jeu d’enfant avec mes antécédents professionnels, même s’il avait duré plus que je ne le pensais.
A l’asile, les spécialistes avaient définitivement persuadé les forces de l’ordre que l’handicapé avait basculé dans un état de folie irréversible issue de ses antécédents génétiques. Son traumatisme lié à l’attaque des gamins n’avait fait qu’anticiper l’inéluctable. La tentative de viol relevait d’un syndrome de vengeance exacerbé par des déficiences neurologiques complexes. La belle connerie ! Le diagnostique des médecins de l’établissement psychiatrique allaient dans le sens du rapport policier et arrangeait tout le monde… moi le premier et heureusement. D’autant que Karim souffrait d’un délire schizophrénique aigu depuis son admission. Son état nécessitait un isolement total et un traitement lourd pour calmer ses périodes de démence. Paraît qu’il se prenait pour moi… Les conclusions sur son état de santé se montraient pessimistes sur une éventuelle guérison sinon à très long terme. Ce qui m’arrangeait bien. L’absence de plainte de notre part et l’état du présumé coupable dédouanait la justice de toute instruction de l’affaire. J’étais tranquille de ce côté là.
Tant pis pour lui !
Cette fois, l’urgence de sauver ma peau mais surtout celle de Julie ne m’avait pas trop laissé le choix. Coincé dans la cave, l’échange m’était apparu comme la seule solution et même si le dénouement actuel m’en donnait raison, je me retrouvais à présent dans une situation des plus inconfortables.
Je me remémorais sans cesse la scène pour me justifier. Tout avait été une question de temps. J’avais réussi à endormir Legallec pour une vingtaine de minutes tout au plus, dosant la quantité de produit pour un poids estimé à soixante quinze kilos, d’après sa corpulence entrevue dans la salle à manger. Quant à moi, le corps de Karim devait rester plus longtemps inconscient si je voulais avoir le temps de régler ma mise en scène après mon transfert. Bien sûr, je n’avais pas pris en compte le fait que cela pouvait rater. Persuadé qu’il n’existait aucune solution, j’avais pourtant agi contre mon instinct en soufflant sous l’effort pour installer Legallec dans un des fauteuils. Ma nouvelle jeunesse biologique noyait mes vieux réflexes de prudence sous un flot d’insouciance incontrôlée et m’autorisait l’impensable. Les bonnets phrygiens en place, je m’injectais pour une demi-heure de liquide somnifère avant que l’ordinateur n’enclenche la séquence. Une fois encore, je jouais à l’apprenti sorcier.
Ce fût comme si mon sommeil n’avait duré que quelques secondes. Ma première réaction porta mon regard sur ma droite. Karim dormait profondément avec, à l’intérieur, sans nul doute, cette bête immonde de Legallec. Quelle serait sa réaction à son réveil ? Je n’osais l’imaginer. Il allait devenir fou. J’allais l’attacher quand une sirène de police retentit graduellement pour finalement s’arrêter tout proche. Nom de Dieu, déjà ! Quelqu’un les avait prévenus. Je n’avais plus le temps de rien. J’allongeais Karim par terre, rangeais à la hâte tout ce que je pouvais pour ne pas éveiller le moindre soupçon sur mon matériel. A peine le temps de me coucher également qu’un gars armé débarquait dans la pièce. Je feignis de me réveiller dans l’ambulance sous les nombreuses claques de l’infirmier. Après, l’hôpital, l’interrogatoire interminable des policiers qui ne purent rien tirer de moi. Feindre l’amnésie me parut la meilleure défense pour éviter de révéler le détail qui ne colle pas. Mon expérience de psychiatre facilitait l’exercice pour contrer les questions âpres et ciselées des docteurs et des flics. Le produit retrouvé dans mon sang inquiéta peu de temps le corps médical. Comme mon métabolisme semblait l’avoir digéré, je ne fus convié qu’à venir passer une visite de contrôle dans une semaine.
Je me retrouvais à présent chez cet homme, en convalescence… chez eux devrais-je dire car Julie était omniprésente les premiers temps. Cette semaine de repos et la reprise de travail de Julie me permirent de m’intégrer doucement dans l’univers des Legallec. J’avais besoin d’assimiler un maximum de choses et de souvenirs pour supporter le contrôle quotidien de mes faits et gestes. Heureusement, la fatigue et mon amnésie prétendues excusaient nombre de trous de mémoire embarrassants. La situation la plus éprouvante fût la visite de ‘‘mes parents’’. Après l’embrassade hésitante, le malaise s’installa quand papa et maman se mirent en tête de me guérir en me remémorant tous les moments importants de sa jeunesse. Usant d’une attention infinie envers ces inconnus, je renchérissais en récitant les bribes des seuls souvenirs que Julie m’avais brièvement évoqués, sans leur apporter de vrais soulagements. Quel jeu abject je servais à cette mère et à ce père en les privant de leur véritable enfant, même si celui-ci était devenu un monstre !
Avec Julie, je ne savais pas trop comment me comporter. Il me paraissait évident que leur couple battait de l’aile depuis longtemps déjà. Que l’amour ne devait pas être réciproque des deux côtés puisque Youenn était décidé à la tuer, simplement pour toucher une prime d’assurance-vie. D’ailleurs, à mon grand soulagement, l’épouse couchait dans la chambre d’amis. Depuis peu, certainement, car ses affaires demeuraient encore dans la ‘‘mienne’’. J’essayais d’être relativement effacé, profitant de mon état pour donner le change mais je sentais bien qu’elle se méfiait. De quoi doutait-elle exactement ?
Ma situation n’allait pas tarder pas à se compliquer davantage avec mon retour à son boulot de mécanicien, au milieu de gens et de technique dont j’ignorais tout. Je n’avais jamais été très habile de mes mains. Après le transfert en Karim, je pouvais facilement dissimuler mon imposture derrière son handicap. Là, c’était nettement plus délicat.
Je me dis que seul le temps pouvait tout arranger mais il y avait une chose pour laquelle je n’en disposais peut-être pas. Je devais me dépêcher de récupérer mon matériel avant que la famille Alouche n’investisse ma demeure léguée à leur fils. Ma connaissance des lois en matière d’usufruit des biens de son enfant pendant un internement était nulle mais le risque me paraissait évident. Si ce n’était eux, quelqu’un d’autre pouvait investir les lieux.
Quant à mon couple, le mieux semblait peut-être que Youenn se sépare de Julie.

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