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14
fév

Donne-moi ta vie – Chapitre 16

Force me fut de constater que l’amnésie de Youenn n’était pas feinte et que les séquelles se révélaient plus conséquentes que ce que le rapport médical laissait supposer. Ce dernier concluait de manière sceptique à une perte de mémoire partielle, doute qui avait conduit les flics à le faire garder un peu plus longtemps en observation, en vain. Pour eux, il restait possible que Youenn simule pour éviter de répondre à des questions qui pouvaient s’avérer embarrassantes. Mais ce qui avait le plus frappé les médecins et par contagion, intrigué les flics, c’était le rapport des derniers examens psychologiques qui soulignaient chez Youenn une intelligence entraînée à échapper aux pièges glissés à l’intérieur des questions. Capacité que les antécédents scolaires et sociaux de mon mari ne pouvaient expliquer.
Pour moi, depuis son retour à la maison, son état ne faisait plus aucun doute. Il avait oublié plus que les derniers événements vécus et le diagnostique d’une amnésie partielle sous-évaluait le véritable traumatisme. Il ne se souvenait plus jusqu’à la place des choses dans l’appartement. Il occultait même les souvenirs importants de notre vie commune et me demandait sans cesse de lui rappeler les événements marquants. Il se montrait avide de photos de famille. La drogue qu’on lui avait administrée l’avait changé. Il se montrait prévenant, attentif à tout ce que je pouvais dire ou faire. Il ignorait carrément sa console de jeux à laquelle, pourtant, je l’invitais à rejouer pour le stimuler. Par contre, il dévorait toujours ses magasines auto, se plongeait dans les manuels d’entretien mécaniques en s’excusant maladroitement de devoir bientôt reprendre le travail. Il avait peur d’avoir oublié toutes ses connaissances.
Je le sentais fragile et distant, aux aguets en permanence et détournant les yeux systématiquement dès que je les recherchais. Mon homme ne ressemblais plus en rien au Youenn supérieur et sûr de lui qui avait partagé ma vie jusqu’à aujourd’hui, mais j’en éprouvais beaucoup de joie et de soulagement. J’avais préféré faire chambre à part dans un premier temps, pour le laisser se reposer. Il ne me réclamait plus de faire l’amour, même après six jours d’abstinence. Privation sexuelle qu’il ne tolérait, avant, qu’à l’établissement de mes règles et qu’il surveillait de près pour vérifier que je ne lui faisais pas un petit dans le dos. Non, Youenn avait changé du tout au tout, en beaucoup mieux mais cela ne me rassurait pas complètement. Quelque chose clochait mais j’espérais que ça dure.
Je pris l’initiative de me rendre au garage pour expliquer à son patron l’état dans lequel il allait le retrouver. Il me promit d’user de patience dans un premier temps avec lui. Il avoua que Legallec était un bon élément et n’avait pas envie de le perdre, malgré ses fréquentes sautes d’humeur. Mais s’il constatait que son employé ne retrouvait pas rapidement ses marques, il se verrait obliger de se séparer de lui pour faute professionnelle. Le message était clair. Je jugeais préférable de ne pas en parler à Youenn, j’espérais seulement avoir gagné juste le peu de temps qui lui permettrait de se remettre en selle, au cas où mes craintes s’avéraient.
En reprenant le chemin des Magnolias après une semaine de congés gracieusement accordés par mon directeur, difficile de retrouver la sérénité. Cela m’ennuyait de laisser Youenn seul mais il fallait bien qu’il recommence à se débrouiller. Et personne, au centre, ne pût me donner des nouvelles de Karim. Il manquait tellement dans les couloirs de l’établissement. Je ne réussissais pas à obtenir l’autorisation d’aller le voir. Le refus des autorités, les conseils de raison de mes collègues et la convalescence de Youenn m’obligeaient à différer mes tentatives. J’étais très inquiète pour lui, je savais qu’il ne supporterait pas longtemps l’emprisonnement dans les conditions d’un asile. Heureusement, d’autres enfants handicapés avaient besoin de moi et nécessitaient toute mon attention.
Les jours passaient et, à la maison, ma méfiance envers le comportement de Youenn commença à s’estomper graduellement. Son caractère avait radicalement changé. Il se montrait prévenant et intéressé ce que je faisais ou racontait et toute cette attention me ravissait. Il posait énormément de questions et se montrait de plus en plus détendu au fur et à mesure que le temps passait. L’inquiétude laissait la place à un peu plus de joie de vivre même si quelques réticences bloquaient encore des pans de notre relation. Il avait repris son boulot et cela semblait ne pas trop mal se passer, pour le peu qu’il voulait bien me rapporter. Étrangement, lors de nos sorties, il me laissait systématiquement le volant, chose impensable qu’il n’aurait jamais tolérée avant.
Par contre, il ne me touchait toujours pas… Tout juste, m’embrassait-il furtivement sur le front le soir après notre retour du travail. J’avais pourtant rĂ©intĂ©grĂ© le lit conjugal. Sous la couette, je ressentais son embarras dès qu’une partie de nos corps entrait en contact. Il se tapissait au bord du lit pour m’éviter. Ne m’aimait-il plus alors que tout montrait le contraire ? Pourtant, avant, j’avais l’impression que pour lui, l’amour n’entrait que très peu en ligne de compte dans nos rapports physiques. Il me contraignais souvent Ă  remplir le devoir conjugal mĂŞme si je n’en avais pas envie et se fichait pas mal de savoir si j’atteignais l’orgasme dans ces conditions. Maintenant, ce partage sensuel manquait pour parfaire la mĂ©tamorphose de notre intimitĂ©. Je me demandais si la drogue qu’on lui avait administrĂ© n’entraĂ®nait pas des pertes de capacitĂ©s Ă©rectiles ? Il n’osait en parler et j’évitais de le questionner pour ne pas le mettre mal Ă  l’aise. Mais l’amour que je sentais renaĂ®tre entre nous exacerbait mon envie de partager plus qu’une simple compagnie. Je devais me montrer patiente et tempĂ©rĂ©e, tout finirait bien par rentrer dans l’ordre. Si besoin, je prendrai contact avec son mĂ©decin pour trouver une thĂ©rapie et un subterfuge pour l’amener Ă  la suivre.
En regardant en arrière, je me disais finalement que, outre l’internement de Karim qui me chagrinait encore énormément, cette histoire avait finalement produit ce que j’attendais depuis notre mariage. Youenn avait mûri et pris conscience de ses responsabilités. Il était enfin devenu le mari que j’espérais et avec lequel j’envisageais, dorénavant, un avenir plein de promesses, si les effets ne se dissipaient pas.

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