ROMANS

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LIVRE-INTERACTIF

27
fév

Donne-moi ta vie – Chapitre 17

Ces enfoirĂ©s avaient raison : il Ă©tait fou. Seulement les drogues qu’on lui administrait m’anesthĂ©siaient le cerveau Ă  travers lui, Ă  tel point que je flottais en permanence dans un univers cotonneux et vide, un peu comme quand je fumais des trucs avec mes potes dans des endroits musique, quand l’alcool n’y suffisait pas. Les seuls moments d’un temps soit peu de luciditĂ© intervenaient certains matins au rĂ©veil, quand les effets des cachets de la veille s’évanouissaient trop vite dans ses veines. LĂ , seulement, remontaient Ă  la surface les bribes de mes souvenirs, de ma vie d’avant cette prison humaine. Je m’appelais Youenn Legallec, grand champion automobile, mariĂ© Ă  cette pute de Julie. Je me rappelais la cambriole avec Ludo le judas, l’étrange ordinateur de cave, la première piqĂ»re de transmutation, l’ambulance haineuse oĂą des tout-blancs me pĂ©nĂ©traient la chair. Ces matins lĂ , je regardais les parties de ce corps qui me composaient Ă  prĂ©sent et j’entrais en crise, comme ils disaient, systĂ©matiquement. Il n’y avait pas long pour les voir dĂ©bouler avec leur seringue Ă  la con dès que je gueulais pour qu’il me rĂ©gurgite… de peur qu’il ne finisse par me digĂ©rer complètement. Les tout-blancs me guettaient, attendant juste le signal pour Ă©viter que je ne m’échappe. Après, retour dans les nuages vaporeux, dĂ©barrassĂ© momentanĂ©ment de toute raison dans cette maudite carcasse !
La cellule n’était pas très grande. Dès que je le pouvais, je forçais l’individu à faire le tour des parois rembourrées, cherchant le bon endroit pour lui défoncer la tête, histoire de calmer ses attaques. Heureusement, ses bras ne pouvaient pas se défendre, emmaillotés dans une toile serrée autour de la poitrine qui l’obligeait à respirer fortement. Cette oppression m’obligeait sans cesse à la contrôler. D’ailleurs, je ne faisais que ça : le contraindre à respirer pour maintenir l’étreinte ; le but, l’unique combat de ma journée. L’automaticité de ses poumons ne fonctionnait plus tout seul, je devais être vigilant et régulier, sinon l’étouffement vicieux nous guettait dans un coin de la pièce et le laisserait libre de m’emporter définitivement. Et puis, ce lit qui l’emprisonnait plus de deux tiers de ma journée et qui ne le lâchait que pour mieux le reprendre à la moindre alerte, au premier soupçon d’agression envers moi. J’appartenais désormais à l’un comme à l’autre mais, heureusement, aucun des deux ne parvenaient à posséder mon esprit.
Quelquefois, la hauteur nuageuse baissait imperceptiblement sur plusieurs jours. Je parvenais, alors, Ă  distinguer, en bas, quelques raisons indistinctes, ici et lĂ . Rien de probant mais elles chatoyaient ma conscience subrepticement et laissaient entrevoir une partie de ma condition. D’autres tout-blancs survenaient ensuite, m’apostrophaient de leur Karim par ci, Karim par lĂ … Lâchez-moi avec cet handicapĂ© ! Lui, j’ai pas eu le temps de l’amocher mais ce n’est que partie remise, quand je me serai dĂ©barrassĂ© de l’autre. Ils repartaient alors en secouant nĂ©gativement la tĂŞte et le sol s’éloignait de nouveau, jusqu’à l’altitude standard de vol. Qu’importe ce qu’ils pensaient, ce n’était pas moi. Ils pouvaient bien me faire tout ce qu’il voulaient, ils se trompaient de mec. Je pouvais les aider Ă  me trouver mais, pour ça, il aurait fallu qu’ils me laissent faire, sortir de l’enveloppe, la dĂ©truire et redevenir mon avant. Mais ils ne comprenaient pas, l’autre les subjuguait et les empĂŞchait de me voir.

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