Hors de moi, je dĂ©valai les escaliers quatre Ă quatre au risque de rater une marche et de m’étaler. Que m’importait une chute, cette connasse avait dĂ©passĂ© les bornes. J’avais besoin d’aller me dĂ©fouler ailleurs… sinon je me sentais capable de lui mettre une raclĂ©e. Elle l’aurait mĂ©ritĂ©e. Depuis le temps que je mettais mes projets de cĂ´tĂ© pour lui apporter de ce confort qu’elle rĂ©clamait sans cesse. Quelle ingrate ! Je sautai dans ma voiture et filai jusqu’au pub. Un Ă©tablissement que j’avais frĂ©quentĂ© assidĂ»ment avant que mes copains et moi ne nous sĂ©parions sur engagement durable dans une liaison sentimentale sĂ©rieuse. Le mariage et son cortège de responsabilitĂ©s nous avait Ă©loignĂ©s dĂ©finitivement de nos habitudes tant apprĂ©ciĂ©es d’hommes libres. Quand tous mes rĂŞves Ă©taient encore possibles.
— Tiens, un revenant, souligna le barman d’un air sarcastique dès mon entrĂ©e ! Pour une surprise, c’est une surprise, t’as eu une permission ?
Les quelques clients accoudés au bar pouffèrent de rire à l’unisson et trinquèrent aussi sec à l’humour du patron, solidaires dans l’ennui et par intérêt au maître des verres. J’ignorai la remarque et me calai au bout de la lignée buccale.
— Jo, tu me sers une Vodka !
Le patron esquissa un sourire délecté et s’exécuta :
— Et voilĂ beau brun, heureux de te voir que tu n’as pas perdu toutes tes anciennes habitudes.
— T’as des nouvelles des autres ?
— Vous vous faites tous un peu rares. Il y a bien que Ludo qui ait rĂ©sistĂ© Ă l’appel des sirènes. Tu me diras, c’est pas Ă©tonnant avec… Tiens, justement, quand on parle du loup, le voilĂ qui se pointe !
Un coup d’oeil derrière la vitrine me confirma l’arrivée d’un de mes anciens compagnons de beuveries. La dégaine ramassée au sortir de sa bagnole, la tignasse hirsute, le regard glauque derrière des lunettes rondes rarement nettoyées. Pas étonnant qu’aucune nécessiteuse matrimoniale ne se soit portée candidate pour acquérir le client. Toujours fourré dans des combines limites, je n’avais jamais apprécié l’individu outre mesure. Mais, il avait fait partie de ma bande et, ce soir, je ressentais le besoin de me ressourcer auprès de vieilles connaissances pour oublier l’autre emmerdeuse.
Un rictus d’étonnement amusé illumina le faciès de mon ancien copain quand il m’aperçut. Il ne se rua pas sur moi, prenant soin de saluer tout le monde avant de s’approcher :
— Ben, si j’avais pu me douter que je te trouverai lĂ ce soir, mon Youyou, je serais venu plus tĂ´t.
— Pas la peine, j’arrive juste, stipulai-je, contrariĂ© par le retour Ă l’usage de mon ancien surnom de jeunesse.
— Qu’est-ce qui t’amène, une petite soif, demanda l’arrivant d’un air faussement soupçonneux Ă la vue du verre vide ?
— Un peu de nostalgie, c’est tout.
— C’est pourtant pas le genre de la maison, si je me souviens bien.
Le besoin de relâcher mes nerfs me poussa à me lâcher un peu. Je ne me sentais pas en mesure à résister longtemps aux remarques acerbes de mon camarade.
— T’as raison, ma femme me cherche des poux Ă la baraque, alors je me suis barrĂ©. Elle m’a vraiment gonflĂ©. Je peux mĂŞme plus faire ce que je veux.
Comme je m’y attendais, Ludo gloussa de plaisir. J’allais avoir droit à son sermon sur le mariage. Peut-être fallait-il que j’en passe par là pour me remettre d’équerre :
— Eh ouais, vous en revenez tous de vos gonzesses soi-disant ajustĂ©es Ă votre libido. Et puis un jour, ces voleuses de libertĂ© finissent par dĂ©voiler leur vĂ©ritable objectif : asservir le mâle et le faire trimer pour elles et leur progĂ©niture jusqu’à la mort. Et quand vous vous rendez compte que vous avez fait une connerie en leur passant la bague au doigt, il est trop tard. Vous ĂŞtes dĂ©jĂ avec un tas de crĂ©dits et de mouflets sur les bras et bonjour la note si vous divorcez. Elles vous sucent jusqu’à l’os d’une manière ou d’une autre. Moi, j’ai compris depuis le dĂ©but et je m’embarrasse pas avec ces mĂ©gères. Juste un peu, ponctuellement, par besoin physiologique, et surtout pas avec la mĂŞme. Trop dangereux.
Après mon altercation avec Julie, ses mots sonnaient vrais. Prenant mon silence penaud pour un assentiment, il reprit de ses conseils :
— Laisse-toi par emmerder par ta pouf ! Fais lui faire voir qui est le patron ! Sinon, tu vas la traĂ®ner comme un boulet toute ta vie. J’ai assez vu comment ma mère en a fait bavĂ© Ă mon père jusqu’au bout. Il en a chopĂ© un cancer mais, crois-moi, c’est le harcèlement conjugal qui l’a fait crever avant le crabe. Y a pas de chimio contre l’amour vache. Pourquoi tu la largues pas, qu’est ce t’en as Ă foutre ? T’as pas encore de gosse, divorcer te coĂ»tera que dalle. Après, si tu attends… tu vas morfler.
Il examina avec fierté l’impact de ses paroles sur mon visage. Je me rappelai lentement pourquoi je ne l’aimais pas trop avant. J’eus tout à coup envie de changer de conversation :
— Ouais, je vais voir ça… Dis donc, t’as une super caisse ! Tu t’es trouvĂ© un boulot qui rapporte ?
Ludo gonfla le torse d’orgueil, il connaissait mes dispositions en matière de mécanique et mes prouesses derrière un volant. Il en apprécia d’autant le compliment. Il se la joua en lorgnant la golf customisée :
— Et tu ne voies pas tout, 250 chevaux sous le capot, une sĂ©rie spĂ©ciale que tu ne trouves qu’en Allemagne, imagine ! J’ai pu me payer ce petit joujou avec…
Il s’interrompit pour s’assurer que personne autour de lui n’écoutait et chuchota avec importance :
— Des affaires dont j’ai le secret ! Tu me connais, travailler comme tout le monde, Ă l’usine sous les ordres d’un patron ou d’un connard de chef, je pourrais pas supporter. Alors, je me fais pas mal de gratte, disons, plus ou moins lĂ©galement… Mais toi, dis-moi pas que c’est pas vrai, t’as toujours ta poubelle ?
Il se pencha ostensiblement pour observer le haut de la rue en désignant une vieille Clio mal en point à qui voulait bien, cette fois dans l’assemblée, suivre son geste. Je tiquai. Décidément ce n’était pas ma soirée, rien ne me serait épargné.
— C’est juste pour traĂ®ner dans le coin et aller au boulot, en deuxième voiture.
— Et je parie que Madame se pavane avec la plus rĂ©cente, s’esclaffa l’insolent ! Ben, t’es encore plus mal barrĂ© que je pensais. Si tu savais, moi, le nombre de minettes que je me lève rien qu’avec ma nouvelle tire. On vit plus sur la mĂŞme planète, mec.
— J’économise pour me payer une bagnole qui carbure, rĂ©torquais-je vexĂ© et Ă©prouvant le besoin de remonter dans l’estime commune. Je vais me lancer dans la compĂ©tition, course de cĂ´te, rallyes…
— Ouais, rigola-t-il, tu sais combien ça coĂ»te ces conneries, tu crois que tu vas t’en tirer avec ton salaire de mĂ©cano ?
— J’assurerai l’entretien mĂ©canique, j’aurai que les pièces Ă casquer. Et si je fais de bons rĂ©sultats, je trouverai peut-ĂŞtre un bon sponsor.
— Dans tes rĂŞves ! Je connais un tas de gars qui marchaient fort et qui y ont laissĂ© leur culotte. Faut voir la concurrence qu’il y a sur le marchĂ© et le paquet de fils Ă papa pleins aux as qui monopolisent le système. Et je te parle pas de toutes les cĂ©lĂ©britĂ©s qui s’y mettent en seconde main. Je me suis fait un copain qui approche le gratin international de la formule, il me raconte les magouilles au sein mĂŞme des Ă©curies, tu peux pas imaginer. Si tu veux, un jour, je pourrais te le prĂ©senter. Enfin, je voudrais pas te casser le moral, y en a quand mĂŞme qui percent. Tu veux l’essayer, mon engin… avant d’être trop bourrĂ© ?
Ludo secoua ses clefs au dessus du verre vide, sachant que je ne ne résisterais pas. je me saisis du trousseau :
— Tu me connais, 250 bourrins, pour moi, c’est plus facile Ă mâter qu’une seule greluche ! En mĂŞme temps, ça va me calmer. En route !
J’effectuais une boucle d’une quarantaine de kilomètres en un temps record, privilégiant les axes secondaires plus dégagés et où nous avions moins de chance de tomber sur des flics. La dernière partie technique, une série de gauche-droites en bord de Rhône, me permit d’évaluer l’excellente tenue de route du bolide, sans pouvoir, toutefois, abuser complètement de la puissance. Je fus impressionné par ses qualités.
— SacrĂ©e bagnole, finis-je par dire de retour Ă notre point de dĂ©part. Impossible de la pousser Ă fond. Pour une course, j’aurais un peu peur de la rayer mais elle a tout ce qu’il faut.
— Tu vois, qu’est-ce que je t’avais dit, souffla Ludo en commençant Ă desserrer les fesses. Mais tu m’as fait baliser. Putain, tu maĂ®trises encore.
Je souris en lui rendant ses clefs:
— EntraĂ®nement virtuel ! Alors maintenant, tu crois que j’ai ma chance ?
Ludo me regarda dans les yeux :
— Pour sĂ»r et je peux t’y aider ! Si tu veux la mĂŞme, dit-il mielleusement en caressant le cuir du volant… j’ai quelque chose Ă te proposer.
il faut mettre mes copains et moi au lieu de moi et mes copains!!
2- suite !!
Il faisait nuit ,mais vu l’Ă©tat de ma colère je me servirais de mes pieds pour me rendre lĂ ou je trouverais un peu de rĂ©confort!
Je fonçais donc ,une silhouette se pointait Ă l’horizon ,en arrivant Ă sa hauteur ,(j’avais très envie de bousculer l’importun ) seulement je m’arrètais et criais ‘ »Merde qu’es ce que tu fous lĂ » !l’objet de ma fureur Ă©tais lĂ devant moi un sourire ironique sur ses fichues lèvres !!
-impossible !! ce n’Ă©tait pas possible!!
Merci pour l’inversion, c’est rectifiĂ©. Par contre, je ne comprends pas la suite de votre message ?
Superbe l’expression : « lignĂ©e buccale »
Il faut s’imaginer debout au fond du bar… en ligne !
salut mon PinPin
j’ai survolĂ© les 5 chapitres pour voir si je trouvais mon personnage, et lĂ ! surprise…. « PUTAIN » c’est un vrai … je n’ai pas de mots.
Bon je vais prendre le temps de lire dans les jours viennent tous les chapitres avec ma petite femme que j’aime très fort!!
amitiés Youyou
Effectivement, ce Youenn lĂ ne vaut pas la corde pour le pendre. A mille lieux, il me semble, de celui qui m’inspire… pourtant. Existe-t-il plusieurs faces cachĂ©es chez un individu ? Une enfance malheureuse ou des souffrances peuvent, disent des psychiatres, les sortir de l’ombre. Mais le futur papa que tu vas devenir se prĂ©pare Ă d’autres choses bien plus merveilleuses.
Ă©tant une femme je
ne rentre pas dans les délibérations de mecs qui se racontent au
bar ,
Merci de votre commentaire. Peut-ĂŞtre me suis-je trop pris au jeu de celui qui en dirait le plus pour Ă©touffer l’autre ! Du reste, en tant qu’homme, j’ai beaucoup de mal Ă me mettre Ă votre place, mesdames, lorsque j’emploie la première personne dans les chapitres de Julie. N’hĂ©sitez donc pas Ă me dire ce qui ne va pas ! Quant Ă ce chapitre en particulier, pouvez-vous me dire ce qui vous gĂŞne le plus ?
cordialement